HUILES ESSENTIELLES
Nous avons testé dix-sept huiles essentielles revendiquant une action désinfectante.
Celles-ci, pour la plupart, tiennent effectivement leurs promesses. Mais ce marché,
en pleine expansion, souffre d’un manque de réglementation.
VICTOIRE N’SONDƒ. CLAIRE WALLAERT, INGƒNIEUR.
17 HUILES ESSENTIELLES
Un réel potentiel
petit flacon de 10ml à 5€ revient
tout de même à… 500 € le litre.
La cherté des huiles essentielles
s’explique par leur rareté. Une
huile essentielle pure est obtenue
par distillation à la vapeur ou
par distillation sèche (et par des
procédés mécaniques pour les
agrumes) de différentes parties
d’une plante (feuilles, fleurs,
écorce…). Pour obtenir 1 l d’huile
essentielle de lavande, par exemple,
il faudra 300 kg de fleurs.
Quatre familles
d’utilisation courante
Les partisans de l’aromathérapie,
l’art de soigner par les huiles
essentielles, rétorqueront que
l’utilisation de ces huiles, au
compte-gouttes, est économique.
L’argument est recevable.
Mais ces précieux liquides, trop
ONOKY/PHOTONONSTOP – PHOTOS PRODUITS : J. CHISCANO/«60»
puissants quand ils sont purs,
gardent-ils quelque efficacité une
fois dilués ? Difficile de répondre
quand ils revendiquent des propriétés
relevant du bien-être, car
ce type d’effets est difficilement
évaluable. En revanche, il est
possible de vérifier leur action
dans d’autres domaines, comme
leur activité antimicrobienne supposée.
Nous avons donc testé
quatre “familles” d’huiles essentielles
d’utilisation courante, bio
et non bio, qui revendiquent,
entre autres, une action contre
les microbes : l’arbre à thé, l’eucalyptus,
la lavande et l’ylangylang.
Résultats : même si les
huiles essentielles ne sont pas
des solutions miracles, elles ne
sont pas non plus de la poudre
de perlimpinpin. Encore une idée
reçue battue en brèche.
Les mises en garde de l’Afssaps
concernent surtout le camphre,
le menthol et l’eucalyptol (1,8-
cinéole), des molécules de la
famille des terpènes. Notons que
l’eucalyptol entre dans la compo
sition d’huiles essentielles
courantes autres que celles de
l’eucalyptus, comme la lavande
aspic. Pourtant, les huiles essentielles
pures sont en majorité
vendues comme des produits de
consommation courante. En officine,
le consommateur bénéficie
de l’expertise d’un professionnel
de santé, ce qui n’est pas le cas
dans une boutique de bien-être.
Autre idée reçue : les huiles
essentielles sont bon marché.
Effectivement, à partir de 5€, et
même parfois moins, vous pourrez
vous en procurer. Un rapide
calcul montre cependant qu’un
février 2012 l n°468 l 60 millions de consommateurs l25
Nous avons testé 9 huiles
essentielles d’arbre à thé,
4 d’eucalyptus, 2 de lavande
et 2 d’ylang-ylang.
Chassez toutes vos idées reçues
à propos des huiles essentielles.
D’abord, contrairement à ce
que l’on pense, même si elles
sont extraites de plantes, ce sont
des substances très actives.
L’utilisation de seize d’entre elles
(article D. 4211-13 du code de la
santé publique) relève d’ailleurs
du monopole des pharmaciens.
Les autres ne sont pas pour
autant inoffensives, rappelle
Catherine Desmares, directrice
de l’évaluation des produits cosmétiques
à l’Agence française de
sécurité sanitaire des produits de
santé (Afssaps).
Attention aux effets
indésirables !
Entre 2004 et 2011, vingt-sept
déclarations d’effets indésirables
liés à l’utilisation d’huiles essentielles
(de mélanges d’huiles
essentielles ou de produits incorporant
des huiles essentielles)
ont été notifiées par l’Afssaps.
«Et ces chiffres sont certai -
nement sous-évalués, puisque
notre dispositif de vigilance est
récent. Seize cas concernaient
des enfants, âgés de moins de
4 ans pour la plupart. Quatorze
d’entre eux ont été victimes de
troubles neurologiques graves »,
alerte Catherine Desmares.
26l 60 millions de consommateurs l n°468 l février 2012
essais
aaa Très bon De 20 à 17
aa Bon De 16,5 à 13
a Acceptable De 12,5 à 10
c Insuffisant De 9,5 à 7
cc Très insuffisant De 6,5 à 0
Les pourcentages entre parenthèses expriment
le poids de chaque critère dans la notation finale.
Attention, cette dernière ne prend pas en compte
les autres actions revendiquées par les fabricants.
DOCTEUR PHYTOSUN COMPTOIR NATURE SUN PUR ESSENTIEL ARKENTIAL HERBES ET
VALNET AROMS AROMA AROMS Expert (ARKOPHARMA) TRADITIONS Arbre à thé Tea Tree Arbre à thé Tea Tree Arbre à thé Tea Tree Tea Tree bio
bio bio bio
Prix d’achat indicatif 5,90 € 4,65 € 6,10 € 10,76 € 4,10 € 14,53 € 7,30 €
Prix d’achat indicatif pour 100 ml 59 € 47 € 61 € 36 € 41 € 97 € 73 €
Inhibition des souches aaa aa aaa aa aa a aaa
microbiennes (70 %)
Étiquetage (30 %) aa a c c c a cc
Note globale (100 %) 16,5/20 14,5/20 12,5/20 12,5/20 12,5/20 12/20 11,5/20
ARBRE À THÉ (TEA TREE)
Quelques précisions
sur les dénominations
Selon les indications sur
les emballages, les neuf huiles
essentielles de l’arbre à
thé (appelé aussi “tea tree”,
le terme anglais) sont toutes
extraites de l’espèce Melaleuca
alternifolia. Les quatre références
à l’eucalyptus sont issues,
d’une part, de l’espèce Eucalyptus
radiata et, d’autre part, de
l’espèce Eucalyptus globulus.
Les huiles de lavande portent
des noms usuels et latins différents
(Lavandula angustifolia
pour la lavande fine et Lavandula
officinalis pour la lavande
officinale), mais ces différentes
dénominations correspondent en
fait à la même espèce de lavande.
Enfin, les deux huiles essentielles
de l’ylang-ylang sont extraites
de l’espèce Cananga odorata.
Une action inhibitrice sur
les souches microbiennes
• Arbre à thé
L’action contre les microbes
est une revendication majeure
des huiles essentielles de l’arbre
à thé. De fait, toutes celles
évaluées dans notre essai sont
capables d’inhiber le développement
des trois souches microbiennes
testées, les bactéries
Pseudomonas aeruginosa
et Staphylococcus aureus
et la levure Candida albicans.
Trois marques, Docteur Valnet,
Comptoir Aroma et Herbes
et Traditions, s’illustrent même
par leur potentiel létal – c’està-
dire leur capacité à tuer les
microbes, et pas seulement à
les inhiber – sur les trois souches
testées, d’où leur excellente note.
(Pour les bactéries, on parle de
« potentiel bactéricide » et, pour
la levure, de « potentiel fongicide ».)
Phytosun Aroms et Néroliane
empêchent également
le développement de ces
trois souches microbiennes,
mais elles finissent un peu en
retrait car elles ne présentent
pas de potentiel bactéricide
concernant le Pseudomonas
aeruginosa.
Enfin, Arkential et Cosmo
naturel sont classées comme
juste acceptables, car leur
potentiel létal ne s’exerce que
sur la levure Candida albicans.
Néanmoins, leur pouvoir inhibiteur
est constaté sur les trois souches
microbiennes.
• Eucalyptus
Pour l’eucalyptus aussi, l’action
antiseptique est une revendication
majeure. Au vu de nos résultats,
elle n’est pas sans fondement.
Trois références sur quatre,
Biofloral, Florame et Ladrôme,
exercent une activité inhibitrice
sur les trois souches microbiennes.
Ces trois produits
présentent même un potentiel
bactéricide concernant les
deux souches de bactéries
testées et un potentiel fongicide
concernant le Candida albicans.
De notre échantillon, seul
Pranarôm est globalement
moins performant. Son activité
inhibitrice sur la souche bactérienne
Pseudomonas aeruginosa
est limitée, ce qui relativise
l’argument antibactérien.
• Lavande
Même si l’action antiseptique
n’est pas la revendication
principale des huiles essentielles
de lavande, il n’y a rien à redire
sur ce point concernant les
deux références de notre essai.
Toutes les deux s’illustrent
par un potentiel létal avéré
s À quelques exceptions
près, les huiles essentielles
pures ne sont considérées
ni comme des produits cosmétiques
ni comme des
médicaments. Elles ne sont
par conséquent pas soumises
aux réglementations
propres à ces deux familles
de produits.
s Résultat : les fournisseurs
mettent leurs produits
sur le marché sans
qu’aucun contrôle préalable
de leur efficacité ou de
leur innocuité ne soit exi -
gé. Toutefois, en cas de
contrôle sur le terrain effectué
par la Direction générale
de la concurrence, de
la consommation et de la
répression des fraudes
(DGCCRF), ils peuvent être
sanctionnés s’ils ne sont
pas en mesure de prouver
la véracité des informations
fournies sur l’emballage ou
sur la notice, qu’il s’agisse
de mentions concernant
l’origine de l’huile essentielle
ou d’un certain nombre
d’allégations mettant
en avant diverses propriétés
de ce produit.
Des produits peu contrôlés
HUILES ESSENTIELLES
février 2012 l n°468 l 60 millions de consommateurs l27
sur les trois souches microbiennes
testées.
• Ylang-ylang
Ce sont les deux seules contreperformances
relevées dans
notre essai.
Dans le cas de Boutique Nature,
une action inhibitrice a bien
été observée, mais seulement
contre la bactérie Staphylococcus
aureus et la levure Candida
albicans, mais non contre la bactérie
Pseudomonas aeruginosa.
Pourtant, sur son site Internet,
la marque revendique une action
antibactérienne pour ce produit,
qui ne se vérifie donc pas
complètement.
L’huile Naturactive, elle, ne montre
d’action inhibitrice sur aucune
de ces trois souches microbiennes,
alors que le site de
la marque annonce un effet
« antiseptique ». Toutefois,
notre analyse n’ayant porté
que sur deux produits, on ne peut
induire une absence générale
d’action antimicrobienne avec
l’huile essentielle de l’ylang-ylang.
On ne peut pas non plus tirer
de conclusions concernant
les autres propriétés supposées
de l’huile essentielle de l’ylangylang
qui n’ont pas été évaluées
dans le cadre de cet essai.
L’étiquetage
Dans l’ensemble, le niveau
d’information fourni sur l’étiquette
des produits de notre essai
est insuffisant. Les indications
thérapeutiques sont quasiment
inexistantes et les préconisations
d’emploi font souvent défaut.
Seuls Docteur Valnet arbre à thé
et Ladrôme Eucalyptus radié
sortent du lot.
L’emballage de Docteur Valnet
arbre à thé est le seul à préciser
à la fois de quelle famille de
plantes et de quelle partie du
végétal est extraite l’huile essentielle,
son chémotype (c’est-à-dire
la composition chimique propre à
une huile essentielle) et son mode
d’extraction. La notice indique
par ailleurs un effet « antimicrobien
», et une utilisation par massage
et par voie orale.
De même, la notice de Ladrôme
Eucalyptus radié propose
un tableau qui signale la partie
de la plante utilisée pour
fabriquer l’huile essentielle et
donne les propriétés générales
de cette huile essentielle.
À l’inverse, les informations présentes
sur l’étiquetage de trois
références sont trop succinctes.
Par exemple, Herbes et Traditions
arbre à thé et Florame Eucalyptus
globulus n’indiquent aucune
restriction d’utilisation pour les
femmes enceintes, même s’ils
conseillent de ne pas laisser ces
produits à la portée des enfants.
Quant à Néroliane arbre à thé,
il est le seul produit de l’essai à ne
faire figurer absolument aucune
contre-indication d’utilisation.
COSMO NÉROLIANE LADRÔME BIOFLORAL FLORAME PRANARÔM COSMO COMPTOIR BOUTIQUE NATURACTIVE
NATUREL Tea Tree Eucalyptus Eucalyptus Eucalyptus Eucalyptus NATUREL AROMA NATURE (PIERRE FABRE)
Tea Tree radié globuleux globulus radié Lavande fine Lavande Ylang-ylang Ylang-ylang
bio bio bio officinale bio complète bio bio
6,80 € 3 € 7,10 € 4,30 € 4,20 € 7,40 € 9,10 € 7,30 € 9,20 € 6,90 €
68 € 30 € 71 € 43 € 42 € 74 € 91 € 73 € 92 € 138 €
a aa aaa aaa aaa a aaa aaa c cc
c cc aa c cc a c c c a
11/20 10,5/20 16,5/20 12,5/20 11,5/20 11/20 12,5/20 12,5/20 8,5/20 8/20
EUCALYPTUS LAVANDE YLANG-YLANG
u Évaluation de l’efficacité
Après une incubation de vingt-quatre ou quarantehuit
heures selon les souches, les micro-organismes
survivants ont été dénombrés. En cas de non-augmentation,
on peut parler d’action inhibitrice. En cas
de disparition (ou de quasi-disparition), on peut
même parler de potentiel létal.
COMMENT NOUS AVONS PROCÉDÉ
u Mise en culture
Les tests ont été réalisés avec deux souches
bactériennes (Pseudomonas aeruginosa et
Staphylococcus aureus) et une souche de
levure (Candida albicans) en milieu de culture.
L’huile essentielle à tester était mise en contact
avec un milieu nutritif contenant une des souches
de micro-organismes.
I. HANNING/RÉA/«60»
J. CHISCANO/«60»
Les souches
microbiennes
ont été
dénombrées
après
incubation.
Les huiles
essentielles
ont été
solubilisées
dans de l’agar
fluide neutre.
28l 60 millions de consommateurs l n°468 l février 2012
essais
Petit guide pratique d’aro
Noms latins et noms usuels, modes d’utilisation multiples… Pas facile de s’y retrouver
dans l’univers complexe des huiles essentielles, d’autant que notices et étiquetages pèchent
par leur manque d’information. Mieux vaut donc se faire aider par un professionnel de santé.
allaitantes, personnes présentant
des problèmes respiratoires
notamment).
Celles qui parfument
et assainissent l’air
Par définition, les huiles essentielles
sont des substances
odorantes. Alors, forcément, la
première idée qui vient à l’esprit
est de les utiliser en diffusion
pour profiter de leurs parfums,
tout en humidifiant et/ou en
assainissant l’air. Des boutiques
“nature” vendent toutes sortes
de diffuseurs et de vaporisateurs
à cet effet. Mais toutes les huiles
essentielles ne se prêtent pas à
cet usage, car elles peuvent être
irritantes pour les voies respira-
On trouve la même complexité
avec les autres huiles essentielles.
Le néophyte risque de
vite s’y perdre : dans son livre
Ma bible des huiles essentielles
(Leduc Éditions, 550 p., 21,90€),
la pharmacienne Danièle Festy
dénombre quelque 78 huiles
essentielles d’intérêt courant !
Et le consommateur ne pourra
guère compter sur l’étiquetage
des flacons pour le guider : les
conseils pratiques sur les emballages
ou dans les notices d’utilisation
(quand elles sont jointes)
sont rares.
Alors, comment faire ? Pour tout
traitement à visée thérapeutique
avec des huiles essentielles,
même pour de la simple “bobologie”,
il est plus prudent d’être
conseillé par un pharmacien ou
par un autre professionnel de
santé formé à l’aromathérapie.
Et, pour les utilisations domestiques
les plus répandues, quel -
ques règles de base doivent
être suivies. Par précaution, on
déconseillera les huiles essentielles
aux populations fragiles
(enfants, femmes enceintes et
Une chose est sûre, l’utilisation
des huiles essentielles ne s’improvise
pas. Prenons par exemple
l’huile essentielle de lavande,
probablement la plus populaire
en France. Elle peut être extraite
d’espèces différentes : les plus
connues sont la lavande officinale
(ou lavande vraie), la lavande
aspic et le lavandin (un hybride
des deux premières). Pour s’y
retrouver, il faut se reporter à la
dénomination latine, en italique
sur les emballages.
Avec plus de 78 huiles,
comment choisir ?
Cette dénomination donne le
nom du genre de la plante, avec
la première lettre en majuscule,
suivi du nom de l’espèce, soit
respectivement : Lavandula spica
(ou L. latifolia cineofolia), Lavandula
officinalis (ou L. angustifolia
ou encore L. vera) et Lavandula
burnatii pour le lavandin super…
Chacune de ces huiles se caractérisant
par une composition propre
(on parle de “chémotype” ou
de “chimiotype”), on lui prêtera
des propriétés bien spécifiques.
s Vous voulez une huile
essentielle garantie sans
pesticides chimiques et
sans OGM ? C’est simple :
repérez celles qui arborent
le logo bio européen (et
parfois aussi le logo bio
français AB). L’organisme
indépendant qui certifie ces
produits (souvent Ecocert
ou Qualité France) peut
aussi apposer son logo.
s Vous voulez une huile
essentielle qui garantit l’espèce
botanique, l’origine
100 % naturelle et l’extraction
sans solvant ? Ça se
complique. C’est ce que
revendique le label privé
Hebbd (pour Huile essentielle
botaniquement et
biochimiquement définie),
qui n’est cependant pas
contrôlé par un organisme
certificateur indépendant.
De même, quelques fabricants
appliquent des
normes Afnor (notamment
la norme ISO 9235) offrant
aussi toutes ces garanties,
mais il s’agit là encore
d’une autodéclaration.
Les labels de qualité
Soins à usage
cosmétique
ou thérapeutique,
ou encore
produits pour
la maison,
les huiles
essentielles
se sont peu
à peu imposées
sur tous
les marchés
du “bien-être”.
HUILES ESSENTIELLES
février 2012 l n°468 l 60 millions de consommateurs
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